Jake Ellis et Charlie Lowthian-Rickert :

Ça ne regarde personne

 « Un garçon qui agit comme une fille; une fille qui a l’air d’un garçon manqué — mais qu’est-ce que ça peut bien faire? »

Jake Ellis se fiche un peu de son lieu de naissance. Quand on le lui demande, l’adolescent de 16 ans, qui vit à Barrie, en Ontario, répond : « Un lieu qui se trouve quelque part en Chine, mais que je ne peux même pas nommer. Ça commence par Z. »

L’identité de Jake n’est pas ancrée dans les conventions traditionnelles puisque le mot transformation convient le mieux pour décrire sa vie. Au moment où ses parents adoptifs sont allés le chercher en Chine, Jake était une toute petite fille prénommée Jaden. À 12 ans, quand sa mère adoptive a succombé à un cancer du poumon, Jake a été recueilli par des amis de sa famille qui vivaient dans une autre ville. Il a alors décidé de réaliser le désir profond qui le tenaillait depuis longtemps et d’entreprendre une transition de genre.

C’est ainsi que Jake est devenu l’une des centaines de milliers de personnes au Canada qui se disent transgenres. Il est difficile d’obtenir des statistiques à ce sujet. Les questions de Statistique Canada se limitent à l’homosexualité (1,7 % de la population canadienne en 2014) et à la bisexualité (1,3 %). Greta Bauer est une épidémiologiste de l’Université Western Ontario dont les travaux de recherche portent sur la santé des LGBTQ. En extrapolant les données américaines, elle estime que 0,6 % de la population canadienne serait trans.

Photo de Jake Ellis, souriant en regardant l’appareil photo.

Intimidation et jeunes trans

En 2011, 49 % des étudiants trans de l’Ontario ont fait l’objet de harcèlement sexuel à l’école dans les 12 mois précédents, et 68 % ont dit avoir subi du harcèlement verbal concernant leur identité de genre ou orientation sexuelle perçue.

Source: http://egale.ca/wp-content/uploads/2011/05/EgaleFinalReport-web.pdf

Jeunes trans de l’Ontario

49%

Harcelés sexuellement

68%

Harcelés verbalement concernant leur identité de genre ou orientation sexuelle perçue

Chose certaine, peu importe leur nombre, les personnes trans sont sorties de l’ombre ces dernières années. Certains diront même qu’elles sont de moins en moins marginales. Pour justifier sa décision de mettre la photo d’une fillette trans de neuf ans sur la couverture de la revue National Geographic en janvier 2017, Susan Goldberg, la rédactrice en chef, a répliqué, sans s’excuser, que les croyances sur le genre changent rapidement.

Or, des croyances qui changent appellent inévitablement à changer les politiques et les lois. Au printemps dernier, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-16, lequel rend illégaux les actes discriminatoires, la propagande ou les crimes haineux contre une personne en raison de son identité ou expression de genre.

C’est dans l’ordre des choses. La Loi canadienne sur les droits de la personne, adoptée en 1977, protège les droits de la personne au Canada en fonction de motifs comme la race, la religion et le sexe. En 1996, l’orientation sexuelle s’est ajoutée aux motifs de discrimination inscrits dans la Loi. Si le projet de loi C-16 est adopté, « l’identité ou l’expression de genre »  deviendra le douzième motif qui pourrait mener à des plaintes de discrimination.

Cet ajout ne provoquera pas de grands bouleversements puisque la plupart des provinces et territoires ont déjà inscrit l’identité et l’expression de genre dans leur propre législation sur les droits de la personne.

« À mon avis, ce projet de loi arrive un peu tard », dit Jake. Sa transition s’est très bien passée, en partie parce qu’elle coïncidait avec d’autres changements dans sa vie — nouvelle ville et nouvelle école —, mais surtout parce que sa famille, le milieu scolaire et ses médecins l’ont grandement soutenu. Quelques jeunes de l’école se sont moqués de lui, « mais le conseiller en orientation a réglé le problème », explique le jeune homme. Jake peut utiliser aussi bien les toilettes réservées aux hommes et que les toilettes neutres réservées au personnel.

« Je suis vraiment plus heureux maintenant », affirme l’adolescent.

Photo de Charlie Lowthian-Rickert, souriant en jouant du ukulélé.

Par contre, les choses ne se passent pas aussi bien pour tout le monde. Charlie Lowthian-Rickert avait trois ans quand elle a dit à ses parents qu’elle était une fille dans son corps de garçon. Ils ne voyaient aucun problème à laisser Charlie exprimer son identité de genre avec des talons hauts et les ailes de fée qu’elle adorait.

Malheureusement, dans leur communauté rurale, des voisins n’appréciaient pas du tout ces extravagances, pas plus que le personnel de l’école du village, où Charlie faisait sa maternelle. « Les enseignants disaient des méchancetés. Ils m’obligeaient à manger toute seule le midi et à me placer au bout de la file quand nous devions former des rangs », raconte la jeune fille.

La famille de Charlie a choisi de déménager en ville et d’inscrire Charlie dans un programme pour enfants doués offert par l’école.

« Tout se passe assez bien depuis ce temps », admet Charlie, qui a maintenant dix ans. À l’école, elle s’est fait des amis qui prennent sa défense, et elle utilise les toilettes réservées aux filles. Quand on lui demande ce qu’elle fait quand elle n’est pas à l’école, elle dit adorer ses cours de danse, mais NE PAS aimer le magasinage.

Depuis qu’elle a intégré la communauté LGBTQ, Charlie a entendu beaucoup d’histoires de gens de cette communauté qui ont vécu de l’intimidation, des moqueries et des situations pénibles et qui ont trop peur pour dénoncer les abus. Charlie ne se laisse pas intimider. Elle a dit soutenir le projet de loi C-16 dans de nombreux événements médiatiques, et elle était aux côtés d’autres militants et de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour parler aux journalistes sur la colline parlementaire. « Je veux être protégée des agressions et de la propagande haineuse », a déclaré catégoriquement Charlie. « Je ne suis pas en sécurité. » 

« Je veux être protégée des agressions et de la propagande haineuse. Je ne suis pas en sécurité. »

Charlie a raison. Il n’y a pas de données nationales sur la violence contre les personnes trans, mais, selon une étude de 2014 réalisée en Ontario, 20 % des personnes trans ont été agressées physiquement ou sexuellement parce qu’elles sont trans, et 34 % ont reçu des menaces verbales ou ont été intimidées. Toujours selon cette étude, 57 % des personnes transgenres vivant en Ontario ont évité les toilettes publiques parce qu’elles ne s’y sentaient pas en sécurité.

Comme tout le monde, Charlie et Jake veulent être acceptés comme ils sont, mener la vie qu’ils souhaitent, essayer de réaliser leurs ambitions. Charlie songe à faire de la politique, et Jake veut devenir ambulancier.

« Un garçon qui agit comme une fille; une fille qui a l’air d’un garçon manqué », s’exaspère Charlie en répétant les expressions utilisées par des gens pour la décrire, « mais qu’est-ce que ça peut bien faire? » 

En mai 2016, le gouvernement a déposé le projet de loi C-16, qui ajoutera « identité ou expression de genre »  à la liste des motifs inscrits dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a applaudi au projet de loi et s’est efforcée, tout au long de l’année, de défendre les droits des personnes trans au Canada

Jeunes trans de l’Ontario

Ont eu des pensées suicidaires

Ont fait une tentative de suicide

Suicide chez les jeunes trans

En 2010, 47 % des jeunes trans en Ontario ont eu des pensées suicidaires, et 19 % ont fait une tentative de suicide dans les 12 mois précédents.

Source: http://transpulseproject.ca/research/ontarios-trans-communities-and-suicide/