Jenna Aitken :

Négligés

« Il y avait si peu de soutien pour des enfants comme nous. »

Jenna Aitken avait cinq ans quand sa famille est partie de Lloydminster, en Alberta, pour s’établir mille kilomètres au nord, à Hay River, une ville sur la rive sud du Grand lac des Esclaves, dans les Territoires du Nord-Ouest. Chris, le père de Jenna, voulait « changer d’air », et c’est exactement ce qui s’est produit. Les hivers étaient rigoureux, le paysage, austère et la communauté, toute petite.

Au fil des ans, la famille a constaté que l’éloignement et la taille de Hay River avaient de sérieux inconvénients. Après avoir éprouvé des difficultés à l’école dès le départ, Jenna a finalement reçu un diagnostic d’autisme, une condition qui toucherait un enfant sur 68 selon le Centre for Disease Control. À Hay River, une communauté de 3 500 personnes, les services dont Jenna aurait eu besoin dans le système de santé étaient difficiles à obtenir, et l’école n’avait littéralement aucune structure pour aider une enfant comme elle.

Il a fallu beaucoup de temps à la famille Aitken pour découvrir ce qui rendait Jenna différente des autres enfants. En première et deuxième années, les enseignants disaient qu’elle était « lente ». On lui a fait redoubler sa première année. Lorsque Chris, lui-même enseignant, et son épouse, aide-enseignante, ont dit que leur fille avait peut-être quelque chose de plus grave, la direction de l’école leur a répondu qu’ils étaient des parents surprotecteurs.

En deuxième année, Jenna a été adressée à un psychologue scolaire, qui a diagnostiqué un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Étant donné que l’école ne pouvait pas donner d’autres formes de soutien à Jenna, une généreuse bénévole de la communauté a accepté de venir en classe pour aider Jenna et un autre garçon en difficulté.

En cinquième année, l’enseignante de Jenna a suggéré de lui faire passer des tests de dépistage pour l’autisme, ce qui est plus facile à dire qu’à faire dans les Territoires du Nord-Ouest. Puisqu’aucun organisme public de ce territoire ne faisait passer ce test, Jenna a dû faire comme des milliers d’autres personnes et inscrire son nom sur une liste d’attente pour obtenir un rendez-vous à l’hôpital de réadaptation Glenrose d’Edmonton. Jenna était en septième année quand ses parents se sont fait confirmer ce qu’ils soupçonnaient : Jenna est une autiste de haut niveau. La famille a été en quelque sorte soulagée d’obtenir un diagnostic, mais le parcours scolaire de Jenna n’est pas devenu plus facile pour autant. Bien au contraire.

Quand Jenna a commencé l’école secondaire, ses parents se sont fait dire que leur fille ne pourrait pas compter sur l’aide d’une personne supplémentaire en classe. Marnie, la bénévole qui avait accompagné Jenna jusqu’en huitième année, ne serait pas remplacée, et un seul membre du personnel, déjà débordé de travail, était formé en éducation spécialisée. Les parents de Jenna ont eu vent qu’un administrateur aurait dit qu’il ne servirait à rien de trouver quelqu’un pour aider Jenna parce que « de toute façon, elle n’obtiendra pas de diplôme. »

Handicap et intimidation

27 % des personnes handicapées qui fréquentent un établissement d’enseignement se font intimider à cause de leur handicap, et 35 % disent être tenues à l’écart ou exclues à cause de leur handicap.

Source: Commission canadienne des droits de la personne, 2017

Personnes handicapées

Se font intimider

Sont tenues à l’écart ou exclues

« Les enseignants étaient surchargés »

En fait, Jenna a obtenu son diplôme, et même avec mention. Alors qu’elle réussissait avec brio dans les matières scolaires, Jenna avait une vie sociale éprouvante à l’école secondaire. Elle a eu quelques amis qui l’ont tous laissée tomber. Pourtant douée pour les sports, elle a abandonné tous les sports d’équipe. Les élèves l’évitaient et quelques enseignants en auraient fait autant.

« À l’école secondaire, la compétition a pris le dessus dans tout », explique Jenna, devenue une jeune femme de 21 ans sûre d’elle et capable de s’exprimer. « C’était toujours qui serait le meilleur. Qui serait la plus jolie. Des élèves obtenaient des privilèges de la part des enseignants, tandis que d’autres se faisaient intimider. »  Chaque fois qu’il fallait former des équipes en classe, Jenna était toujours la dernière choisie. « Les enseignants ne prêtaient pas attention à l’enfant qui restait silencieux ou passif ou derrière les autres. »

Jenna a alors commencé des crises de rage incontrôlables. « C’est comme un élastique — on peut l’étirer encore et encore, mais il se brisera si vous atteignez son point de rupture. »

« Elle pleurait tous les jours, après l’école », raconte son père, qui était bien placé pour voir ce qui se passait puisqu’il enseignait à la même école. En douzième année, Jenna s’est retrouvée sur la liste des personnes à surveiller en raison du risque de suicide.

Grâce au soutien exceptionnel de sa famille, Jenna a réussi à terminer ses études secondaires. Elle fréquente maintenant un collège communautaire en Alberta pour devenir aide-enseignante. Son rêve est de pouvoir un jour offrir aux enfants le genre de soutien dont elle aurait tant eu besoin à l’école secondaire. Même si cette période lui rappelle de mauvais souvenirs, elle en parle avec sérénité.

« Les enseignants étaient surchargés », explique-t-elle. « Je n’étais pas la seule qui avait besoin d’aide. Plein d’enfants avaient besoin d’aide — certains nés avec le syndrome d’alcoolisation fœtale, le syndrome d’Asperger ou l’autisme. Certains n’ont même pas reçu de diagnostic parce que leurs parents avaient trop peur. Il y avait si peu de soutien pour des enfants comme nous. » 

Son père est d’accord avec elle. « La direction de l’école secondaire pense probablement avoir fait de son mieux avec les ressources qu’elle avait », dit-il avant de préciser que sa femme et lui étaient beaucoup mieux placés que d’autres pour réagir compte tenu de leur niveau de scolarité, leur revenu familial et leur bonne connaissance du système scolaire. « La plupart des gens n’osaient pas parler. »

Il est bien content de voir Jenna s’épanouir — il constate qu’elle étudie dans un domaine qu’elle aime, qu’elle se fait des amis et qu’elle sort les fins de semaine. Elle a entrepris une nouvelle vie en Alberta. Elle est pleine d’espoir, mais la peur n’est pas loin. « Elle déteste revenir ici. » 

En 2016, la Commission a mené une étude sur l’éducation et les personnes handicapées, dans le cadre du suivi de l’application de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Selon cette étude, les élèves handicapés se heurtent à des obstacles qui freinent leur parcours et vivent de l’exclusion et même de l’intimidation en raison de leur handicap.

Scolarité inachevée

37 % des personnes handicapées du Canada réduisent le nombre de cours qu’elles suivent, à cause de leur handicap, et 11 % décident de mettre un terme à leurs études prématurément à cause de leur handicap.

Source: Commission canadienne des droits de la personne, 2017

Personnes handicapées

Réduisent le nombre de cours suivis, à cause de leur handicap

Mettent un terme à leurs études prématurément à cause de leur handicap